Débat sur le traité budgétaire européen
Boris Ravignon, vous avez été cinq ans conseiller à la Présidence de la République auprès de Nicolas Sarkozy et vous êtes vice-président du conseil général des Ardennes. Que pensez-vous
de l'imbroglio relatif à ce traité ?
« Je comprends le malaise d'un grand nombre d'élus de gauche à qui on a expliqué que ce traité était l'horreur absolue. Et aujourd'hui, le Président de la République et le Premier ministre leur
demandent de le voter, au motif qu'un volet d'investissements européens que nous ne sommes pas prêts de voir, aurait été ajouté.
Cela étant, j'ai beau être moi-même profondément européen, si j'avais été élu député des Ardennes, je n'aurais pas voté le projet de traité qui est soumis au Parlement. Honnêtement, je n'ai pas
de problème avec ce qui figure dans ce traité, mais j'ai une énorme difficulté avec tout ce qui ne s'y trouve pas. Avec ce texte, on ne change rien à l'Europe passoire, construite depuis 30 ans,
l'Europe des délocalisations où la concurrence déloyale est généralisée entre les pays européens, et avec le reste du monde.
Rien sur le rétablissement de protections douanières vis-à-vis du reste du monde ! Jusqu'à quand allons-nous accepter l'importation de produits dont la fabrication ne respecte même pas les normes
les plus minimales en matière sociale ou environnementale. Prenons l'exemple de l'acier, comment défendre la sidérurgie en France et en Europe, si les aciéries européennes sont les seules au
monde à devoir réduire leurs émissions de CO2. La compétition est faussée : les normes sont chez nous et nos emplois partent chez les autres.
Rien sur une véritable harmonisation fiscale et sociale entre pays européens ! On pointe régulièrement la Chine, à raison, pour le dumping qu'elle pratique. Mais pour beaucoup d'unités
industrielles que je connais bien dans les Ardennes, les concurrents les plus menaçants se trouvent en Europe de l'Est, au sein même de l'Union européenne. Or ces pays reçoivent des fonds
importants du budget européen alimenté notamment par la France sans qu'aucune condition ne leur soit demandée en matière d'harmonisation fiscale et sociale.
Rien non plus sur les frontières de l'Europe ! Nous ne construirons pas un espace de prospérité partagée si nous ne régulons pas les flux de personnes et de marchandises. Autour de nous, ni la
Chine, ni les États-Unis, par exemple, ne plaisantent avec leurs frontières.
J'aurais dit "non" à ce traité, non pas parce que je ne crois pas à l'Europe, mais parce que je pense qu'il est grand temps d'exiger une autre Europe que celle que nous avons construite jusqu'à
présent. »
Mais ce traité a été négocié par l'ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy ?
« C'est vrai et je suis peu suspect d'anti-sarkozysme, mais je considère que le gouvernement précédent n'est pas allé assez loin encore pour que l'Europe soit de nouveau une Europe qui nous
protège et qui nous unit, et non un simple grand marché voué à subir la mondialisation.
Du reste, je veux rappeler que je n'étais pas le conseiller pour les affaires européennes de l'ancien président. À l'Élysée, j'étais en charge du Développement durable, des Transports, de
l'Aménagement du territoire et de la Ville. »
Et la règle d'or qui figure dans le Traité ? En quoi est-ce si problématique ? Les collectivités territoriales y sont contraintes depuis belle lurette sous contrôle des chambres
régionales des comptes… En quoi cette rigueur budgétaire serait à ce point insupportable ?
« Effectivement, la règle d'or, ce n'est pas le problème. Une chose est sûre : on ne peut dépenser éternellement plus que ce qu'on a. Ce qui porte atteinte à la souveraineté de la France, c'est
que nous n'avons pas équilibré le budget de l'Etat depuis la fin des années 70. Il est compréhensible de s'endetter pour investir, un ménage le fait pour acheter sa maison ou sa voiture. Mais sur
le budget de la Sécurité sociale et sur celui de l'Etat, nous finançons par l'emprunt notre excès de dépenses courantes. Là, c'est comme si une famille s'endettait tous les mois pour faire les
courses alimentaires ou payer l'électricité. Comment imaginer que cela puisse durer ?
Chaque mois, l'Etat pour fonctionner doit emprunter 16 milliards d'euros, cela fait plus de 100 milliards de francs et je vous passe les anciens francs. Quand on dépend autant de ceux qui nous
prêtent, tous les mois, il n'est pas étonnant qu'ils nous demandent comment nous allons rembourser. C'est ce qui se passe aujourd'hui. Le seul moyen de sortir de l'étreinte fatale des marchés
financiers, c'est que notre pays arrête de fonctionner à crédit, qu'il dépense mieux et qu'il réduise sa dette.
Et franchement, à tous les niveaux de l'Etat, de la Sécu et des collectivités, nous voyons tous qu'il y a de l'argent mal employé et des économies à faire. C'est là qu'il faut agir. »
Vous soutenez donc le budget de rigueur proposé par le gouvernement de François Hollande ?
« Non, parce que le budget qui nous est proposé, c'est précisément le contraire de la bonne gestion qui serait nécessaire. Au lieu de s'attaquer aux gaspillages et de réduire les dépenses, le
gouvernement a recommencé par les augmenter. Et maintenant, il entend accroître impôts et prélèvements en tout genre jusqu'à équilibrer le budget. D'où les 25 milliards d'euros de prélèvements
supplémentaires qu'on nous promet sur le seul budget de l'Etat. Et chaque jour, on évoque d'autres impôts. Ces jours-ci, revient l'idée d'augmenter de 1 % par an… la CSG qui pèse directement sur
les salaires, sur les retraites et même sur les indemnités de chômage… Les consommateurs, les entreprises, bref toute l'économie française, ne vont pas s'en remettre.
Le candidat François Hollande nous avait promis la croissance. J'ai peur, au contraire, que la récession soit le programme de cette année et de l'année prochaine. Or il est encore plus dur de
rembourser ses dettes quand la richesse nationale recule. »
Pendant la campagne électorale il était très à la mode de promouvoir le « produire français ». On voit aujourd'hui les restructurations que connaissent de nombreux secteurs. Comment
pourrait-on restituer une industrie en France sans améliorer la compétitivité des entreprises et l'attractivité du pays ?
« Rester une économie compétitive, conserver notre industrie, innover, cela ne se décrète pas. Il ne suffit pas de changer le libellé d'un département ministériel. On peut y parvenir puisque
certains de nos voisins, l'Allemagne notamment, y arrivent bien. Mais cela suppose une action soutenue dans le temps. Le cadre européen ne nous y aide pas et c'est pour cela qu'il faut d'urgence
le changer. Je viens de le dire.
Ensuite, il faut encourager fortement l'innovation et les investissements stratégiques. Sur ce point, le gouvernement actuel se borne à reprendre ce qui a été mis en place par son prédécesseur :
le crédit d'impôt recherche, le Grand Emprunt, les pôles de compétitivité, le Fonds stratégique d'investissement. C'est que tout cela était finalement mieux que ce que François Hollande en disait
dans la campagne. Mais il faut aussi veiller au coût du travail en France. J'insiste, cela ne veut pas dire comprimer les salaires, mais réduire les charges sociales et fiscales qui pèsent sur le
travail. Et je regrette que l'actuel gouvernement ait déjà choisi de supprimer la TVA anti-délocalisation et d'augmenter les cotisations de retraites à l'occasion de sa réformette sur l'âge de
départ en retraite. C'est le contraire de ce qu'il faut faire. »
Plus largement, dans l'action du Président de la République actuel, n'y a-t-il rien aujourd'hui qui aille dans le bon sens pour vous ?
« Pour moi, le fait de soumettre de nouveau les heures supplémentaires à des charges et à des impôts dans certaines entreprises mérite un vrai carton rouge. On nous a dit qu'on voulait s'attaquer
aux privilégiés… mais ceux qui faisaient des heures supplémentaires, étaient des ouvriers ou des employés ! L'arrivée des feuilles de paye de septembre a été un choc pour tous ces gens-là, qui
travaillent dur et qui, une fois de plus, sont ceux qui vont être mis à contribution.
En revanche, vu la situation épouvantable du marché du travail dans notre département, je pense que, comme Jean-Luc Warsmann, j'aurais approuvé la création des emplois d'avenir. Les emplois aidés
ne sont pas la panacée, c'est sûr, mais c'est toujours mieux que rien. »
Propos recueillis par Philippe LE CLAIRE